Phare de Cordouan
1584-1611
Pierre des carrières de Charente et Gironde
67,50 m
Optique simple focale 0,92m
Caractère : 2+1 occultations toutes les 12 secondes, secteurs blanc-rouge-vert
Portée : 22 milles
Automatisé en 2006
Une enceinte, une partie basse verticale, qui se prolonge par un cône jusqu’à la lanterne : Cordouan ne ressemble à aucun autre phare, ni en mer, ni à terre. D’après les premières cartes de l’estuaire, et jusqu’au début du XVIIe siècle, Cordouan était une île dont la partie émergée à marée haute s’est progressivement réduite aux seules emprises du phare. Le visiteur est frappé par la richesse de l’ornementation et une composition architecturale subtile : des figures grotesques, des fenêtres aux encadrements complexes et un extraordinaire portique d’entrée. Rythmé par des colonnes doriques, il est surmonté de frontons encastrés, ornés de canons et de divinités antiques. La partie basse de la tour rappelle que Cordouan, avant d’être un phare, est d’abord un monument de la Renaissance, dont seuls les deux premiers étages subsistent._Sur une gravure de Claude Chastillon, dessinée en 1606 et publiée en 1641, un ensemble de petits bâtiments, dominé par une tour polygonale, est représenté à côté du phare. Comme souvent dans les îles, les premiers habitants sont des moines, dont la présence est attestée au XIe siècle. Ceux-ci entretiennent un feu au sommet d’une première tour établie au temps du pape Grégoire IX (1227-1241). Cette tour, reconstruite au XIVe siècle par le Prince Noir, menace ruine deux siècles plus tard._En 1584, un contrat pour la construction d’un nouveau fanal est passé entre les commissaires royaux, dont Montaigne, en qualité de maire de Bordeaux, et Louis de Foix (c. 1535-1602 ?), horloger du roi d’Espagne Philippe II, ingénieur connu pour ses travaux de détournement de l’Adour à Bayonne. En 1594 un nouveau contrat entre Henri IV et l’architecte donne un nouveau sens à l’édifice, qui devient un projet à la gloire de ses mécènes, les rois de France. Le pays est en pleine guerres de Religion et l’ajout d’une chapelle est révélatrice : Henri IV vient d’abjurer le protestantisme. Le 28 avril 1611, trois commissaires mandatés par le Roi de France constatent que les travaux de la tour de Cordouan sont achevés. Après plus de vingt-cinq années de labeur, interrompu par les guerres et de graves difficultés de financement, la construction de la tour s’achève. Cordouan est le chaînon manquant entre les phares antiques disparus et les phares modernes, qui vont se multiplier au XIXe siècle : une (re)naissance des phares. Il a gardé de son prestigieux prédécesseur d’Alexandrie un double usage, fonctionnel et symbolique. Même s’il est d’une piètre efficacité par rapport aux systèmes actuels, un feu est allumé il y a quatre cents ans. Mais la pièce la plus extraordinaire qui nous a été transmise de cette première tour est la chapelle royale et sa coupole ornée de caissons. Des offices y sont régulièrement célébrés depuis l’Ancien Régime jusqu’à nos jours._A la fin du XVIIe, plusieurs feux s’allument sur les côtes de France, en particulier aux pointes des îles de Ré et d’Oléron. Sous la direction de Vauban, les ingénieurs des fortifications incluent dans les programmes de défense des côtes de France des tours à feux. La lanterne de pierre de Cordouan, sérieusement délabrée par les tempêtes et la chaleur du feu, est remplacée par une lanterne de fer, où un brasier est allumé en 1727. En 1771, le roi confie les phares de France à un entrepreneur d’éclairage urbain, Tourtille-Sangrain. Ce dernier équipe Cordouan de 80 réflecteurs sphériques en 1782. Chargé d’apprécier l’efficacité – médiocre – de ces réverbères, l’ingénieur des bâtiments civils de la Marine de Bordeaux, Joseph Teulère, se voit confier la rénovation d’ensemble du phare. Sous la direction d’un savant et navigateur français, le chevalier de Borda, un projet est imaginé, combinant plusieurs innovations : des réverbères paraboliques, plus efficaces, un système de rotation qui permet de varier le signal émis par le phare, qui passe en rythme de l’ombre à la lumière. Teulère montre que la portée dépend de la hauteur du foyer, si bien que le premier projet d’exhaussement de 30 pieds est doublé pour atteindre 60 pieds. Le nouvel appareil, qui est aujourd’hui conservé au Musée des phares d’Ouessant, est allumé à la fin du mois d’août 1790. En juillet 1823, Fresnel, accompagné d’artisans, se rend à Cordouan pour y installer son appareil à lentille (lui aussi conservé à Ouessant). Appelé par Arago à Paris en 1819 pour y conduire des expériences auprès de la Commission des phares, Augustin Fresnel (1788-1827) a rapidement convaincu le milieu savant parisien de l’efficacité lumineuse d’un nouveau système d’éclairage des phares : l’usage de panneaux de lentilles à échelon pour concentrer la lumière. Après des essais menés à Paris qui écartent les technologies concurrentes, l’appareil de Fresnel doit subir une épreuve encore plus redoutable : fonctionner au quotidien dans un phare isolé, grâce au soin de gardiens, et non de savants de l’Académie des Sciences. Cordouan inscrit les phares dans une lignée monumentale, qui sera assumée par les ingénieurs des siècles suivants. « De tous les monuments qui sont aujourd’hui consacrés à l’éclairage maritime, Cordouan est le plus remarquable par l’ampleur de ses dispositions et la richesse de son ornementation », écrit Léonce Reynaud dans son Mémoire sur l’éclairage en 1862, année du classement du phare au titre des monuments historiques. Le soin architectural apporté aux phares français du XIXe siècle doit beaucoup au « modèle » de Cordouan. Dernier phare en mer gardé des côtes de France, ouvert à la visite à la belle saison, Cordouan est inscrit depuis 2001 sur la liste indicative des monuments susceptibles d’être classés par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité.
École nationale des ponts et chaussées